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L'AVIS DES ARTISTES

vocabulaire utile:

  • cordonnier, m. - shoemaker, cobbler
  • rapetasser - to repair shoes
  • filature, f. - spinning-mill
  • tanneur, m. - tanner (leather treatment)
  • ouvrier, m. - worker, workman
  • blanchisseuse, f. - washerwoman
  • repasseuse, f. - ironer (person or machine)
  • atelier, m. - studio
  • ailleurs - elsewhere
  • monde, m. - world, people
  • désinvolte - easy, free, detached
  • délimiter - to demarcate, delimit
  • à peu près - more or less
  • le long de - the length of, along
  • paysan, m. - peasant, country people
  • également - equally
  • pareil - alike, similar, same
  • coupure, f. - break, cut, rupture
  • dégourdir - remove stiffness, relax
  • étang, m. - swamp
  • rouiller - to rust
  • accrocher - to hang up
  • bilan, m. - balance-sheet, evaluation
  • illuminer - to light up
  • tuyeau, m. - pipe (not for smoking)
  • invraisemblable - unlikely, hard to believe, improbable
  • d’empâtement, m. - bloatedness, furriness, thickness
  • soigneusement - carefully

Jean Giono - écrivain

Texte intégral

Intervieweur: On a toujours pensé que vous étiez un Provençal, mais que vous n’étiez pas entièrement en tout cas un amoureux de la Provence, Jean Giono.

Giono: Oui. Alors, je suis en effet provençal du fait que je suis né à Manosque en 1895, mais ni mon père ni ma mère n’étaient provençaux d’origine et ma mère était parisienne d’origine Picarde et mon père était Piemontais, c’est-à-dire une sorte de Celte. Par conséquent, je n’ai d’attaches avec la Provence que ma naissance qui était une naissance tout à fait par hasard parce que mon père et ma mère se sont rencontrés là tout simplement. Mon père, lui, était d’abord, a été d’abord pendant longtemps cordonnier à St. Chamas, puis à Peyrol, puis à Marseille, puis un beau jour il a eu envie d’aller se promener dans le monde dans le vaste monde et comme il me disait plus tard, quand il a pu me raconter toutes ses histoires, il m’a dit, "J’avais un métier épatant parce qu’il me suffisait que je mette dans un sac du cuir et des outils et que je parte sur la route, j’étais libre comme l’air, je m’arrêtais simplement à certains endroits, je demandais si on avait des souliers à rapetasser, on me disait oui, je les arrangeais, on me payait, et j’allais plus loin." Par conséquent il était entièrement libre de tous ses mouvements. Il a visité de cette façon-là d’abord tout le Sud de la France, ensuite l’Italie où il est retourné voir les endroits de son où étaient nés son père et sa mère. Après il est allé comme ça en Autriche, puis il est allé, il est retourné dans le Tyrol. Il est allé dans le Tyrol, il est retourné au Piemont, et, finalement il est arrivé à Manosque. Il est arrivé à Manosque, il s’est logé dans une immense maison qu’on appellait à ce moment-là la Grande Maison, qui était une ancienne filature qu’on avait transformée en maison d’habitation, à peu près l’équivalent de l’époque des HLM actuels. Dans cette grande maison habitait, était venue habiter, ma mère, et ma mère alors elle, elle avait eu une autre expérience de la vie, elle était née à Paris, à St. Cloud, d’une mère picarde et de son père qui était premier trombone à la Garde Impériale, et qui était dans les Zouaves. C’était les amours du tour-lou-lou et de la-lou-lou normaux dont elle était née. Elle était née donc à St. Cloud et aux environs de la guerre de 70, quand on a, quand les, Paris a été menacé d’un siège, ma mère, ma grandmère, et son, mon grandpère sont partis de Paris et sont venus à Manosque d’où mon grandpère était, malgré tout il était, il était avant d’être Zouave dans la Garde Impériale, il était ouvrier tanneur. Il était venu, il est revenu par conséquent au pays à ce moment-là, et ma mère a continué à vivre à Manosque à partir de l’âge, par conséquent, de seize ans. Elle est retournée quand elle avait seize ans de Paris, et elle a commencé à vivre à Manosque à partir de l’âge de seize ans. Elle est, elle était devenue, son père avait repris son métier de tanneur, et sa mère est morte peu de temps après d’une péritonite, et puis elle s’était installée comme blanchisseuse et comme repasseuse dans un petit atelier qu’elle avait en ville mais elle habitait cette avec son père et ses frères et ses soeurs qui étaient nés après elle dans cette grande maison dont j’ai parlé tout à l’heure qui s’appellait la Grande Maison, qui s’appelait la Grande Maison. La-dessus mon père arrive, ensuite, ils se marient, et deux ou trois ans après je nais. Mon père n’était pas que cordonnier, lui-même était poète aussi, il faisait des chansons, il faisait des poésies. Il m’a parlé par conséquent pendant toute ma jeunesse de son désir d’écrire.

Moi j’ai commencé à écrire assez tôt, même pendant que j’étais encore au collège, puis après j’ai essayé de gagner ma vie mais pendant que je travaillais ailleurs, j’étais employé de banque, je commençais à écrire. Je commençais à écrire des romans qui précisement parlaient de ce que je n’avais pas, c’est-à-dire de liberté, de liberté de lumière, d’après-midis libres, de grandeurs que je n’avais pas dans mon petit bureau d’employé de banque. Puis, petit à petit ce travail m’a libéré et je suis devenu un peu comme mon père, libre d’aller où je voulais avec mon propre travail. A partir de ce moment-là j’ai commencé à décrire non pas une Provence classique, d’abord la Provence que j’habite n’est pas une Provence classique, c’est ce qu’on appelle la Haute Provence, et la Haute Provence diffère de la Basse Provence, comme la Bretagne diffère du Groënland, n’est-ce pas. C’est tout à fait différent. La Haute Provence est un pays noble, un pays sévère, un pays presque muet avec très peu de monde et des gens graves et réfléchis. La Provence, l’autre Provence c’est une Provence beaucoup plus beaucoup plus gaie beaucoup plus délibérée, beaucoup plus désinvolte, et qui joue avec le soleil tandis que nous nous jouons plutôt avec la solitude et avec des grandeurs qu’on, qui ne se trouvent pas dans la vallée du Rhône, par exemple.

Alors, voilà la Provence que j’ai décrite est une Provence inventée, est une Provence qui m’appartient à moi, qui n’est pas une Provence géographique. Assez souvent on me pose la question de savoir dans quel lieu se trouvent les terres que j’ai employées dans mes romans, les paysages que j’ai employés dans mes romans, et on essaie de me les faire délimiter sur une carte, sur une carte de Michelin. Mais je les délimite, évidemment, je leur dis c’est à peu près à cet endroit-là, on arrive par tel chemin et on repart par tel autre chemin mais le long de ces chemins, les paysages que j’ai décrits ne sont pas ceux qu’on voit. Ce sont des paysages qui ont été recomposés avec des paysages existants et qui sont devenus des paysages nouveaux. De ces paysages nouveaux j’ai fait un pays particulier. De ce pays particulier, ce pays particulier je l’ai fait habiter par des gens que j’ai composés avec des caractères de paysans connus, mais qui sont également inventés eux-mêmes. Tout compte fait, et pour comparer les petites choses aux grandes, j’ai fait en ce qui concerne la Provence ce que Faulkner a fait pour le Sud américain. J’ai fait exactement pareil; j’ai composé un Sud imaginaire, moi aussi, dans lequel des paysans, des personnages imaginaires vivent des drames imaginaires. Par conséquent on ne peut pas chercher dans mon oeuvre un naturalisme qui n’y est pas. Ce naturalisme j’en ai été toujours l’ennemi, je ne peux pas lire d’écrivain naturaliste, je suis extrèmement éloigné de ce procédé d’écriture. Pour moi, ce qui compte seul, c’est l’imagination, et le fait même qu’on imagine est pour moi la réalité de l’oeuvre de l’écrivain.

Intervieweur: On peut dire que grosso modo il y a quand même deux temps dans votre oeuvre, qui est très abondante maintenant, c’est-a-dire la première manière, Colline, Un de Beaumugnes, puis il y a une coupure à un moment donné.

Giono: Il n’y a pas de coupure dans mon oeuvre. Il n’y a pas deux manières. On a parlé de deux manières, on a parlé d’une coupure. Il n’y a pas de coupure, il n’y a pas deux manières. Je vais expliquer la chose. J’ai écrit la plupart des livres de la deuxième manière pendant que j’écrivais les livres dits de la première manière. Par exemple, pendant que j’écrivais Que Ma Joie Demeure j’avais commencé à écrire Le Hussard. Pendant que j’écrivais Le Hussard j’ai écrit un livre qui paraît maintenant qui s’appelle Deux Cavaliers de l’Orage et ainsi de suite. Chaque fois que j’écris un livre, j’en écris plusieurs à la fois, pour précisement me dégourdir du premier par le second, ce qui fait que les deux manières sont simplement la marque du vieillissement d’un écrivain qui vieillit qui fait des expériences par conséquent nouvelles ou renouvelées, qui se corrige, qui apporte dans son écriture tous les éléments que son expérience lui a apportés depuis, par conséquent, évidemment il change, je ne suis plus l’homme que j’étais quand j’avais trente ans. Je ne fais plus les mêmes promenades, je ne discute plus des mêmes choses, je ne parle plus de la même façon, c’est exactement la chose qui se reconnait dans les livres de ce qu’on appelait la deuxième manière. Il y aura peut-être même une troisième, une quatrième, une cinquième, une sixième manière si Dieu me prête vie, parce que à mesure qu’on vit, à mesure que les expériences se font, on change de manière forcement.

Écrire exige une certaine solitude, une certaine solitude et une certaine solidité du travail dans lequel on se trouve. Et c’est ce que j’ai trouvé à Manosque, évidemment. J’ai trouvé à Manosque la solitude, la paix, la tranquilité, mais je crois que si j’avais été libre de m’installer où je le désirais, j’aurais choisi un pays dans lequel il pleuvrait beaucoup, dans lequel il y aurait des forêts avec des humus, des étangs avec des grenouilles, des espèces de choses humides. J’aime beaucoup l’humidité, j’aime la pluie, j’aime les ciels couverts, j’adores les ciels de l’Ile de France par exemple. J’ai trouvé un jour le lieu béni ou j’aurai voulu habiter, c’est l’Ecosse. Dans cette Ecosse solitaire, j’aurais je crois été tout à fait à mon aise et beaucoup plus à mon aise qu’en Provence. Remarquez que en Provence je trouve quand même mon temps et mon lieu de temps humides. Je trouve quand même des endroits où je peux me reposer du soleil, de la lumière, mais je vis plutôt à l’intérieur plutôt que dehors tandis qu’en Ecosse j’aurais été, j’aurais fait de grandes promenades, j’aurais participé au paysage beaucoup plus que je l’ai fait en Provence. Ce qui me permet précisement, cette vie en Provence, avec le soleil que je n’aime pas, me permet précisement d’inventer avec beaucoup plus de liberté des quantités de paysages et de personnages et de me plier avec beaucoup plus d’appétit, et beaucoup plus de bonheur à la discipline du romancier, cette discipline qui, précisement, pour moi, est une chose essentielle et guide et dirige toute ma vie et me donne l’essentiel de mon bonheur. Je, les personnages m’habitent pendant très longtemps avant que je me décide à écrire leur, leurs histoires, je compose très soigneusement leurs drames pendant de nombreuses années, pendant parfois quatre ou cinq ans, de façon à les garder avec moi. Je les garde encore quand je continue à écrire et quand je les délimite par une sorte de style, de recherche de style, à ce moment-là aussi, je tâche de les garder le plus longtemps possible avec moi ce qui fait que la discipline du romancier s’accomode de ce que je n’habite pas un pays entièrement à ma convenance. Si j’habitais un pays entièrement à ma convenance, j’irais peut-être, je profiterais peut-être de ces grandes forêts ténébreuses que je désire, des grandes odeurs d’humus que j’aime et des grandes promenades dans des bois d’autôme, dans des bois rouillés, mais là, comme je ne les ai pas, je suis obligé de les inventer, et c’est ce qui me confine près de ma table, ce qui me donne mon plaisir de rester chez moi, à côté de ma bibliothèque, où j’ai mes paysages que je désire, précisement, dans des livres que j’aime et où j’ai ma table de travail où j’invente aussi, moi, des paysages que j’aime, qui sont différents de ceux qui m’entourent.

Flaubert a dit "Madame Bovary, c’est moi." Eh bien, pour moi, pour mon compte personnel, je ne peux pas dire "Angélo, c’est moi", je ne peux pas dire "Panturle c’est moi", je ne peux le dire d’aucun de mes personnages, ni masculin ni feminin. Ce sont des personnages dans lesquels je me suis mis, évidemment, comme tout le monde est obligé de se mettre, mais ils ne font pas parti d’une façon intégrante de moi-même, n’est-ce pas, je m’explique. Par exemple, voilà un champs de blé. Devant ce champs de blé il y a l’opinion du propriétaire, il y a l’opinion du promeneur, puis il passe Monsieur Van Gogh. Monsieur Van Gogh. Pour lui, un champs de blé que nous accrochons à notre mur qui est tout à fait différent du champs de blé du propriétaire, et tout à fait différent du champs de blé de l’économiste distingué. C’est le champs de blé de Van Gogh. Et Van Gogh s’est ajouté à ce champs de blé. Je me suis, moi-même, de cette façon-là, ajouté à tous mes personnages qui sont les personnages à la fois rééls et imaginaires, la partie qui me concerne, et même les scintillements imaginaires que je ne peux pas dire, moi, un tel personnage c’est moi-même. Il est évident que Flaubert avec son écriture, et sa façon d’écrire, et sa méthode d’écriture, pouvait dire que Mme. Bovary c’était lui. Moi je ne peux pas dire ni que Pauline de Théus est moi, ni que Angélo c’est moi ni que les autres personnages sont moi-même. C’est tout à fait différent. C’est un travail à la fois de l’esprit, de l’imagination et du style. Tout concourt à donner à ces personnages une vie et une âme, une conscience tout à fait différentes de la mienne.

Maintenant, à la fin de ma vie, j’éprouve le besoin de faire ce que tous les écrivains, le besoin que tous les écrivains éprouvent à la fin de leurs vies, c’est à dire, de faire comme une petite somme, comme une addition de tout ce qu’ils ont fait jusqu’à ce moment-là, et tirer une sorte de bilan. Alors j’écris pour l’instant un grand roman qui est un roman moderne, qui se passe à l’époque moderne, mais, se passant à l’époque moderne il cherche quand même, et il trouve ses racines dans le passé, c’est à dire qu’à chaque instant, j’essaie, je fais des plongées dans le passé pour rechercher les éléments discriminatifs des caractères des personnages qui sont expliqués là et même un des héros, plusieurs héros de ce roman sont des objects dits inanimés, par exemple, il y a une usine qui est un personnage de ce roman. Une usine, je vais vous dire laquelle, c’est l’usine de Shell-Berre, cette usine de raffinerie de pétrol si extraordinaire qui se trouve sur les bords de l’Etang de Berre et qui illumine comme une espèce d’énorme diamond toutes les nuits quand on passe quelquefois avec le train on la voit ou quand on va la voir en voiture dans la journée elle est admirable avec son architecture de tuyeaux d’aluminium invraisemblables, et puis, il y a une autre, il y a un autre héros de ce roman que j’écris, c’est une énorme machine à asphalter les routes, qui a six mètres d’empâtement et onze ou douze mètres de longeur, une espèce de monstre qu’on voit sur les autoroutes en train de faire des tapis d’asphalt d’un seul coup. Alors cette machine, en réalité s’appelle Dragoon, c’est d r a g o o n, elle s’appelle de cette sorte-là et ce sera peut-être le titre du livre. Ce titre qui a déjà changé une fois ou deux. D’abord ce livre s’est appellé une Rose Secrète, maintenant pour l’instant il s’appelle le Dragoon, et peut-être il s’appellera encore un autre titre avant qu’il soit fini car j’en ai encore pour deux ou trois ans. Je garde soigneusement avec moi sur ma table cette immense usine d’aluminium, toute d’aluminium de raffinerie de pétrol, et cette grande machine énorme qui fait de l’asphalte sur mon bureau tout le jour.


QUESTIONS DE COMPÉHENSION ET DE RÉFLEXION
  1. Que pense-t-il de l’écriture naturaliste?
  2. Ses paysages, correspondent-ils à des paysages rééls?
  3. Qu’est-ce qu’il lui faut pour écrire? Dans quel environnement écrit-il?
  4. Quels paysages aime-t-il? Pourquoi est-il content de ne pas y habiter?
  5. Y a-t-il un personnage qui représente Giono dans son oeuvre? Comment travaille-t-il pour développer ses personnages? Met-il longtemps?
  6. Que dit-il sur la "coupure" que les critiques décrivent dans son oeuvre? (Les deux manières)
  7. Dans son roman moderne, il introduit de nouveaux personnages, inanimés. Que sont-ils? Comment les décrit-il?