Au cours de mes 12 années de direction du Théâtre National Populaire, on ma fréquemment demandé en quoi ces trois mots "Théâtre National Populaire" correspondaient au travail effectué par la compagnie ou bien ce quil signifiaient pour moi et pour léquipe, si ces trois mots avaient été une sorte de conduite de notre action. Je méfforçais au cours de ces dialogues que javais avec certaines parties du public de définir ces trois mots et je vais essayer de les définir cette fois-ci si possible un peu plus clairement, et, si possible encore un peu plus profondement. Je ne commencerai pas par le premier; je veux dire que je ne commencerai pas par le mot théâtre, mais je commençerai par le second. Ce théâtre porte, et portais, sous ma direction, et porte encore, le nom de National. Le mot national, je crois que ça implique beaucoup de devoirs et cela crée aussi beaucoup de défenses. Cest-à-dire que la direction dun théâtre national, et bien des directeurs de théatres privés ne lont pas toujours compris ou admis, la direction dun théâtre national implique au moins le devoir suivant le plus simple, cest que quoi quil fasse, quelque pièce quil choisisse, quelque style quil emploie, il est contraint à ce que son oeuvre sinclut dans les siècles de théâtre. Çela paraît un projet ambitieux, mais il est difficile à un directeur de théâtre national de ne pas tenir compte de toutes les écoles, de toutes les traditions, de toutes les querelles qui ont imagé, ont fait vivre ou, ici et là, mourir, telle grande école où telle grande leçon du passé. Le mot national, étant inclu dans ce Théâtre National Populaire -- allait-on faire uniquement des choses de la tradition. Bien sûr que non. Il fallait que ce théâtre national étudie, connaisse, et, quon me permette le mot, ait digéré toutes ces grandes traditions mais en même temps sadressant à un public français, un public au moins parisien, et il ne faut pas oublier que nous avons joué presque aussi fréquemment en province, en banlieu parisien, quà Paris. Il fallait que ce théâtre, donc, se place par rapport à la nation, par rapport au peuple existant. Cest-à-dire quil ne fallait pas présenter un musée du théâtre, mais fort des traditions passées, des leçons reçues par le passé, faire un théâtre moderne et un théâtre vivant. Je crois que cest là la plus grande leçon que lon peut tirer du passé, cest que les théatres les plus anciens et les plus grands ont toujours été des théatres extrèmement vivant de leur temps et à ce point vivant que lorsque nous nous reprenons une de leurs oeuvres, il reste encore vivant et bien vivant. Mais ce mot national crée dautres obligations. Dautres obligations dans son administration, et disons le mot en tout clair en sa comptabilité dans son droit et avoir. Il ne fallait pas que des pièces trop riches, ou une exploitation trop généreuse crevera dangereusement le budget dun théâtre qui après tout pendant douze ans a été celui et de loin le moins soutenu par lEtat. Il fallait donc, et combien cela est difficile, auprès dartistes, il fallait donc que, non pas seulement le Directeur, mais, cela va de soi, les services de ladministration, services essentiels de ladministration, mais encore les comédiens comprennent que tout ce quils faisaient, leurs recherches, leur gloire, leurs écheques, sincluaient dans une entreprise qui était qui nétait pas celle dun individu, qui nétait pas celle dun metteur en scène, dun directeur, mais qui était celle dune collectivité. Je sais bien que tout ça paraît un peu vaste comme devoir, mais je crois que lorsquun directeur dun théâtre national noublie pas cette chose son oeuvre est plus profonde, son oeuvre est plus efficace, son oeuvre est plus vraie. Le théâtre est un devoir national. Théâtre et devoir national nont jamais été des mots génants. Je viens dessayer, jai tenté dexpliquer ce que signifiait pour nous ce mot national inclu dans notre label.
Je voudrais à présent, ayant à définir les deux autres mots, le mot théâtre et le mot populaire, passer à ce dernier, et dire comment pendant ces douze ans de direction jai tenté déclairer ce mot, de lui donner un sens, et, dans la mesure où ou je le pourrais, de savoir quel sens même lui donner. Par expérience, tout Français sait bien que, depuis disons une vingtaine dannées, depuis la fin de cette seconde guerre, le mot populaire a pris un sens politique, précis que populaire signifie obligatoirement extrème-gauche, cest-à-dire que le mot populaire, qui est un adjectif après tout, qui na pas de sens profondement politique, en a pris un. Et bien, et dailleurs, peut-être lattitude que nous avons eu pendant ces douze ans,des pièces que nous avons, certaines pièces que nous avons choisies, ont-elle poussé certaines personnes à penser que nous faisions un théâtre de parti, et le théâtre dun certain parti. Je crois que maintenant, les querelles étant terminées, on voit bien que tel nétait pas notre but, pourquoi, non pas parce que certains dentre nous peut-être auraient abandonné ses propres idées mais parce que il nous paraissaît dangereux quun théâtre prît une option politique et ne prît que celle-là, prît une décision, face à un choix, qui eút un parti pris politique. Ce qui est paradoxale, et je tiens à rappeler ce petit souvenir, cest quau moment où on nous traitait, disons le mot, de communistes, et de communistes acharnés, nous jouions à ce moment-là une des oeuvres qui pouvait passer presque pour une oeuvre sinon Nazi pas du tout - au-dessus de cela - mais une oeuvre franchement prussienne, qui était à la gloire de la Prusse, qui était à la gloire des armes. Et cette pièce sappellait le Prince de Hambourg. Si bien que dailleurs pour certains Kleist était un Nazi, et je jouais la pièce de Brecht, Bertold Brecht Mère Courage parce que Brecht était communiste. On sait que dans certains milieux politiques et quand la colère est reine la sagesse et la raison ne sont plus présentes.
Mais enfin je voudrais donner un sens de ce mot populaire et y voir clair un peu. Cela ne la pas toujours été. Jai préféré définir, plutôt que dentrer dans des discussions, dans des définitions dangereuses. Je préférais me tenir à ce point qui me paraît sage et très simple, il y a Paris au moins, dépêchons-nous, nous ne parlons pas de la province, il y a à Paris environ quarante-cinq théatres dramatiques. Je ne parle pas des cabarets littéraires, je ne parle pas des théatres lyriques. Et bien, il faut quil y en ait un, et ce sera le Theatre National Populaire, il faut quil y en ait un qui présente si possible les meilleurs spectacles de Paris mais en tout cas, le présente dans des conditions de prix populaires. Nous avons fait en sorte pour que non seulement le prix des places, prix des places qui dailleurs était décidé avec le Ministre, ne soit pas élevé, soit le plus bas possible mais en même temps que tous les à côtés du théâtre qui coûtent cher aux spectateurs, soient absoluement éliminés et supprimés. Je rappelle que un spectateur qui venait au Palais de Chaillot navait à payer que le prix de sa place, pas de pourboire, pas de pourboire ni pour être placé, pas de pourboire pour poser son pardessus et cetera, et cetera, et bien dautres choses.
Donc populaire signifiait pour nous ceci dans notre action, signifiait que notre action, notre travail, nos mises en scène, nos interprétations, nos pièces, nos oeuvres, notre respiration même fonctionnent uniquement en vue de la partie la plus défavorisée de la nation, travaillent pour ceux qui gagnent le minimum et nous avons tout fait pour, par lintermédiares des associations populaires dabord pour toucher cette partie de nos concitoyens. Je crois que sans dire que nous ayons fait du théâtre populaire, cest-à-dire du théâtre pour le prolétariat, nous avons tout de même fait du théâtre dans ce sens cest que sur un moyen de deux mille trois ou deux mille quatre cents spectateurs qui venaient tous les soirs dans cette salle, il faut bien affirmer que il y en avait au moins deux mille qui avaient une petite condition, qui avaient des moyens financiers extrèmement bas. Je crois que donc nous avons au moins en ce qui concerne ce mot populaire comment dire, non pas réussi notre mission, mais approché et respecté en tout cas, la mission quon nous avait confiée. Mais il y avait une autre chose dans ce mot populaire. Il y avait bien dautres choses dans notre esprit et cela ne sest pas décidé, et cela ne séclairarent tout de suite, tout dun coup. En étant nommé Directeur du Théâtre National Populaire jai bien senti quil y avait une part déducation à faire, mais je le craignais, je le craignais pourquoi parce que léducation veut dire lycée ou collège, veut dire enseignement à lheure, veut dire tout le côté didactique de lenseignement mavait toujours paru dangereux en ce qui concerne le théâtre. Cependant, il fallait que les oeuvres que nous jouions ne soient pas seulement quun divertissement, que ce soit une chose agréable pour les spectateurs, il fallait aussi quil y eut une leçon et beaucoup de choses qui étaient obscures dans mon esprit en ce qui concerne les chefs doeuvres séclairèrent tout dun coup. Cest à dire que je mapercus ou en tout cas cétait beaucoup plus net et précis que tout grand chef doeuvre nést pas quune belle tragédie atroce ou terrible et douleureuse ou une grande comédie, une chose drôle, mais quelle est aussi une leçon. Et je me suis efforcé à travers les pièces que je choisissais, dailleurs, ceci non depuis la première année mais tout au moins dans les premières années, de choisir des oeuvres où la leçon soit presentée avec les plus beaux costumes du monde mais non seulement mais encore avec une espèce dattrait qui vienne de la leçon même. Cela est assez facile à découvrir tout au moins sinon à traduire pour lacteur. Cela est aussi facile dans les oeuvres de quelques uns de nos grands maîtres et je pense à Corneille, et cest la raison pour laquelle nous avons claironné plus souvent Corneille que Racine mais cela est aussi une bonne leçon pour lartiste. Comment éduquer ou enseigner un public sans être insupportable, ou sans le faire fuir. Et bien je crois que il fallait se taire, ne pas dire que lon allait incluire une leçon sous loeuvre, rechercher la leçon du poète, mais cela consistait et je crois que cest là le talent essentiel, le talent quotidien de lartiste, cest que quand il y a une leçon et au théâtre il doit y avoir le plus souvent une leçon, il faut que cette leçon soit présentée avec les charmes des divertissements, avec toutes les graces, et ça nest pas pour rien que nous avons fait parfois des efforts considérables aussi bien que les théâtres les plus huppés, les plus célèbres, où les plus artistocratiques disons, en ce qui concerne la présentation, en ce qui concerne les costumes, en ce qui concerne tout lapparat proprement théatrale. Je crois que de cela le public nous a été reconnaissant. Ce public a été dune fidelité assez étonnante au cours de ces douze années, de cette fidelité qui nest pas celle de lesclave, mais bien au contraire celle de lhomme libre puisque après tout, après une mauvaise année nous avons eu des difficultés financières parce que les salles au TNP nont pas toujours été pleines. Mais enfin il y avait entre eux et nous cette espèce de compromis, de compromis aesthétique disons, qui consistait à bien voir sous les apparats et sous les richesses des costumes, la leçon et la leçon profonde et aussi bien la leçon claire.
Ensuite il me faut définir ce que représentait pour nous le mot théâtre. Cela me paraît un peu drôle davoir à le définir, bien sûr, mais enfin il faut le faire et cest évidemment la chose la plus difficile qui soit. Après tout, on na pas fait le théâtre des autres nolens, volens nous le voulons, nous le voulons pas, on a fait son propre théâtre. Et bien, je crois que justement le chef de troupe que jai été na pas toujours fait ce quil aurait voulu faire. Faiblesse de caractère ou paresse desprit peu importe jai toujours eu le goût à ce que mes collaborateurs aussi bien les postes les plus infimes, les plus modestes, participent au travail. Je pense quils ne sen sont pas tous aperçus. Je pense que la majorité ne la pas vu. Pourtant, je me suis efforcé à ce que ce théâtre soit un théâtre non pas dun homme mais que ce soit un théâtre né, un enfant né dun mariage multiple, dune union multiple et il est arrivé très souvent que tel collaborateur qui nétait pas forcément un acteur mais qui pouvait être aussi bien un peintre, un musicien, quun administrateur ait eu plus dimportance par rapport à la réalisation de loeuvre que le metteur-en-scène et le directeur. Bien sûr je ne suis pas toujours parvenu à faire cette espèce desprit collectif du théâtre tout au moins dans ma troupe, dans la troupe que jai dirigée mais je crois que si lon réfléchit à ces douze ans, ceux, tout au moins qui réfléchissent sur ces douze ans, qui en conservent des souvenirs, doivent voir que ce style qui paraît une certaine façon de faire par une volonté unique de par une volonté unique a été ici où la loeuvre aussi bien de tel ou tel musicien, de tel ou tel peintre, de tel ou tel acteur et non pas un seul acteur pour une pièce mais de cinq ou six principaux acteurs. Cest dire que pour moi, tout au moins là où jen suis, le théâtre ne peut pas être lenfant dun seul homme, ne peut pas être le fruit dun seul arbre. Je crois que à lheure même que nous appelons dans nos salles les classes populaires dont les métiers sont mélangés, je pense que de lautre côté, sur le plateau, il faut que le travail présenté soit le résultat de volontés peut-être divergentes, peut-être et même parfois, ennemies. Le tout est que par cette espèce de résolution obligatoire où lon est quand on fait du théâtre, on arrive à présenter une oeuvre qui ne soit pas trop contradictoire, mais la contradiction au sein même dune oeuvre nest jamais néfaste. Jai toujours rêvé par exemple pendant Shakespeare dun Shakespeare dont tel ou tel tableau serait mis par Dupont, tel autre par Durand et tel et tel autre par Martin. Et nous serions peut-être surpris de voir à quel point le théâtre, comme la vie, aime les contrastes, aime les solutions ennemies, aime les irréductibles.
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